Dolores Redondo – Le gardien invisble

dolores redondo - le gardien invisibleIl y a des livres que l’on achète par défit : parce que l’on ne connaît pas l’auteur(e) (personnellement je n’avais jamais entendu parler de Dolores Redondo), parce qu’il est en décalage avec son temps (la mode est plutôt aux polars venus des pays froids qu’ibériques), parce que la couverture est d’une sobriété qu’elle n’est pas très vendeuse.

Mais si je l’ai choisi c’est pour une raison originale : cette année pour mes vacances estivales, je pars dans le pays basque. or il se trouve que l’action du Gardien invisible prend place dans le pays basque espagnol. Alors autant se mettre dans l’ambiance tout de suite, et se croire déjà loin de son lieu de travail.

Nous allons voir si ce Gardien invisible a d’autres atouts que ne me feront pas regretter son achat ?

Histoire

Le cadavre d’une jeune fille est découvert sur les bords de la rivière Baztán dans une étrange mise en scène. Très vite, les croyances basques surgissent : et si toute cette horreur était l’oeuvre du basajaun, un être mythologique ? L’inspectrice Amaia Salazar, femme de tête en charge de l’enquête, se voit contrainte de revenir sur les lieux de son enfance qu’elle a tenté de fuir toute sa vie durant.
Jonglant entre les techniques d’investigation scientifique modernes et les croyances populaires, Amaia Salazar devra mettre la main sur ce gardien invisible qui perturbe la vie paisible des habitants d’Elizondo.

Extrait

Ainhoa Elizasu fut la deuxième victime de celui que la presse n’avait pas encore surnommé le basajaun. Cela vint un peu plus tard, au moment où le bruit courut qu’on avait retrouvé à proximité des cadavres des poils d’animaux, des lambeaux de peau et des empreintes qui n’étaient peut-être pas humaines, le tout accompagné d’une sorte de cérémonie funèbre de purification. Une force maligne, tellurique et ancestrale semblait avoir marqué les corps de ces jeunes filles – presque encore des enfants – aux vêtements déchirés, à la toison pubienne rasée et aux mains disposées dans une attitude virginale.

Quand on l’appelait au petit matin pour se rendre sur une scène de crime, l’inspectrice Amaia Salazar observait toujours le même rituel : elle éteignait le réveil pour ne pas déranger James, entassait ses vêtements et son téléphone et descendait très lentement l’escalier jusqu’à la cuisine. Elle s’habillait, buvait un café au lait et laissait un mot à son mari avant de monter en voiture, absorbée par des pensées vides, un bruit blanc qui lui occupait toujours l’esprit quand elle se levait avant l’aube et que les restes d’une veille inachevée l’accompagnaient, même si elle avait plus d’une heure de trajet entre Pampelune et la scène de crime où une victime attendait. Elle prit un virage trop serré et le crissement des pneus la rappela à la réalité ; elle s’obligea alors à se concentrer sur la route sinueuse qui montait en s’enfonçant dans les épaisses forêts aux abords d’Elizondo. Cinq minutes plus tard, elle s’arrêta près d’une balise et reconnut le coupé sportif du Dr Jorge San Martin et le tout-terrain de la juge Estébanez. Elle descendit de voiture et se dirigea vers la partie arrière du véhicule, d’où elle sortit des bottes en caoutchouc qu’elle chaussa en s’appuyant contre le coffre pendant que le sous-inspecteur Jonan Etxaide et l’inspecteur Montes s’approchaient.
– Ça s’annonce mal, chef, on a une gamine, fit Jonan en consultant ses notes. Douze ou treize ans. Les parents ont déclaré que leur fille n’était pas rentrée à la maison à vingt-trois heures.
– Un peu tôt pour signaler une disparition, fit Amaia.
– Oui. Apparemment elle a téléphoné à son frère aîné vers vingt heures dix pour lui dire qu’elle avait raté le bus d’Arizkun.
– Et il ne s’est pas bougé avant vingt-trois heures ?
– Vous savez : «Les aitas vont hurler. S’il te plaît, ne leur dis rien. Je vais demander au père d’une copine de me ramener.» Résultat, il a fermé son bec et s’est mis à jouer à la PlayStation. A vingt-trois heures, voyant que sa soeur n’arrivait toujours pas et que sa mère devenait hystérique, il les a mis au courant. Les parents se sont présentés au commissariat d’Elizondo pour déclarer qu’il était arrivé quelque chose à leur fille. Elle ne répondait pas sur son portable et ils avaient déjà appelé toutes ses copines. C’est une patrouille qui l’a découverte. En abordant le virage, les agents ont vu ses chaussures sur l’accotement, précisa Jonan en désignant de sa lampe l’endroit où brillaient des souliers vernis noirs à petits talons, parfaitement alignés.
Amaia se pencha pour les observer.
– On dirait qu’on les a placés comme ça exprès. Quelqu’un les a touchés ? demanda-t-elle.

Avis

Grosse, très grosse surprise à la lecture de ce livre.

Qui aurait pu penser qu’après un livre d’histoire, une personne puisse fournir un livre policier aussi abouti, dès son premier essai. Bien que l’on ne soit qu’au début de l’été, je peux vous dire que ce livre finira sur le podium des thrillers de l’été 2013.

Dolores Redondo a su maîtriser le juste équilibre entre intrigue policière, psychologie des personnages et description de l’univers, le pays basque espagnol en l’occurrence.

L’intrigue policière n’a rien d’original ; un serial killer semble sévir dans une petite bourgade, mais on sent bien que l’original du mal est tapi dans l’histoire et les racines de ce pays. La tension et la géographie propose à ce lieu n’est pas sans nous rappeler Glacier ou Le cercle de Bernard Minier, mais cette fois-ci le style littéraire est plus subtile, plus fluide.

La grande force du livre est de nous faire partager la psychologie et le passé de l’héroïne de manière assez approfondie. Cela est d’autant plus original que cela intervient dans ce livre, qui n’est en fait que le premier dune trilogie (encore une série). C’est à se demander ce que l’auteure pourra faire subir à son héroïne, quelques autres secrets se terrent dans la famille, pour les prochains volets.

Mais ce que j’ai avant tout apprécié, et qui est la raison de l’achat de ce livre, est la description faite du pays basque espagnol. Les coutumes, traditions, mais aussi la gastronomie (il faudrait en annotation l’écriture phonétique des noms de gâteaux tant leur orthographe témoigne de la région), sont dévoilées au fil de l’eau. Cette présentation de la région n’est en nulle point pompeuse ou lourde, elle contribue à l’ambiance, à l’explication des relations des autochtones, et ce par petites gouttes. Ce livre est le meilleur des prospectus touristiques que l’on puisse lire sans se lasser.

Donc, je vous recommande vivement Le gardien invisible de Dolores Redondo; et encore plus si vous allez prochainement dans le pays basque.

Une question : à quand les prochains épisodes ? Si quelqu’un a la réponse, merci de la mettre en commentaire de ce billet.

Et pour finir, une petite vidéo que l’on peut trouver sur le site officiel de l’auteure (voir ne fin de billet) pour vous mettre l’eau à la bouche.

Compléments du 13/08/2013 : Après être allé en vacances dans le Pays-Basque juste de l’autre côté la montage d’Elizondo, je confirme la très bonne description de cette communauté et du pays. Donc un bon policier avec une pointe ethnologie.

Notation

Histoire
Écriture
Durée de lecture
Prix

Caractéristiques

  • Relié: 464 pages
  • Editeur : Stock (20 mars 2013)
  • Collection : La cosmopolite
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2234071941
  • ISBN-13: 978-2234071940
  • Prix : 22,50€

Revues de presse

« Le gardien invisible est un roman noir puissant, inquiétant de réalisme, et inaugure la trilogie du Baztán, qui va faire parler d’elle. » El Periódico

Ce Gardien invisible constitue le premier épisode de la Trilogie du Baztan. Tous les ingrédients sont d’ailleurs réunis pour que ça marche  : un décor naturel qui recèle de vieilles histoires peuplées de sorcières et de djinns ; une héroïne droite dans ses bottes quand l’institution est défaillante ; toute une galerie de personnages avec des bons, des moins bons et des méchants ; enfin, un passé douloureux que l’on croyait enfoui à jamais et qui resurgit à l’aune de l’enquête…
Son écriture fait mouche lorsqu’elle décrit la forêt, le silence, les arbres, le craquement des feuilles sous les pas d’apparitions mystérieuses. (Marie-José Sirach – L’Humanité du 11 avril 2013)

Des cadavres de femmes jonchent la Navarre. Entre mythologie basque, intrigue familiale et enquête policière…
Dolores Redondo excelle à alterner ses intrigues procédurales et familiales. Certes, c’est un classique du roman policier, mais elle y ajoute une touche étrange (et personnelle, enfin basque) avec… le basajaun, l’autre personnage principal. Si vous ne saviez rien de cette figure de la mythologie basque, cette créature à la pilosité démesurée, ce seigneur des forêts, vous apprendrez à le connaître. Car c’est lui qui ajoute à l’intrigue ce qui fait le supplément d’âme du livre : l’homme et l’animalité du crime, les légendes ancestrales et les techniques d’enquêtes modernes, le trauma familial et les croyances obscures. Troisième roman de la très récente collection noire de Stock, La Cosmopolite Noire, Le Gardien invisible maîtrise les codes du genre tout en lorgnant du côté de Fred Vargas pour son aspect surnaturel. (Hubert Artus – Lire, avril 2013)

Mythologies basque et familiale se confondent, l’intrigue se nimbe d’une atmosphère quasi surnaturelle. La magie opère. Dolores Redondo serait-elle la cousine espagnole de Fred Vargas ? (Marie Rogatien – Le Figaro du 30 mai 2013)

Hantée par les fantômes de cette vallée où elle a passé son enfance, qui l’attire et qu’elle rejette à la fois, Amaia va, au fil de son enquête, remonter le cours de sa propre existence en s’abandonnant chaque jour un peu plus à la contemplation du paysage : Amaia sentait dans cette forêt des présences si tangibles qu’il était facile d’y accepter l’existence d’un monde merveilleux, un pouvoir de l’arbre supérieur à l’homme, et d’évoquer le temps où, en ces lieux et dans toute la vallée, êtres magiques et humains vivaient en harmonie.» Une vallée que l’auteur explore avec une rare puissance émotionnelle : n’est-ce pas la première fois, dans l’histoire du polar, que le méchant est une forêt, le salaud, une rivière, le serial killer, un paysage ? (Didier Jacob – Le Nouvel Observateur du 20 juin 201

Site Internet de l’auteure

http://www.doloresredondomeira.com/

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