Jean-Paul Didierlaurent – Le liseur de 6h27

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Je poursuis mes lectures de découvertes faites dans des vides-grenier. Cette fois-ci c’est le succès littéraire, inattendu, de l’été 2015 : Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent.

Si vous êtes comme moi, seule la couverture du livre vous disait quelque chose, mais rien sur le nom de l’auteur. En fait en préparant cette chronique, j’ai appris que cette personne était en fait un employé d’orange qui, après l’écriture de plusieurs nouvelles à chaque fois primées, a décidé de faire le grand saut en prenant un congé sabbatique pour écrire ce livre.

Alors est-ce que Le liseur du 6h27 va-t-il nous emmener avec lui dans ce train littéraire ?

Résumé du livre

«Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écœurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine.»

Guylain Vignolles est préposé au pilon et mène une existence maussade et solitaire, rythmée par ses allers-retours quotidiens à l’usine. Chaque matin en allant travailler, comme pour se laver des livres broyés, il lit à voix haute dans le RER de 6H27 les quelques feuillets qu’il a sauvé la veille des dents de fer de la Zerstor 500, le mastodonte mécanique dont il est le servant.
Un jour, Guylain découvre les textes d’une mystérieuse inconnue qui vont changer le cours de sa vie…

Dans une couleur évoquant le cinéma de Jean-Pierre Jeunet ou la plume ouvrière de Jean Meckert, Jean-Paul Didierlaurent signe un premier roman qui nous dévoile l’univers d’un écrivain singulier, plein de chaleur et de poésie, où les personnages les plus anodins sont loufoques et extraordinaires d’humanité, et la littérature le remède à la monotonie quotidienne.

Extrait

Certains naissent sourds, muets ou aveugles. D’autres poussent leur premier cri affublés d’un strabisme disgracieux, d’un bec de lièvre ou d’une vilaine tache de vin au milieu de la figure. Il arrive que d’autres encore viennent au monde avec un pied bot, voire un membre déjà mort avant même d’avoir vécu. Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec pour tout fardeau la contrepèterie malheureuse qu’offrait le mariage de son patronyme avec son prénom : Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retenti à ses oreilles dès ses premiers pas dans l’existence pour ne plus le quitter.

Ses parents avaient ignoré les prénoms du calendrier des Postes de cette année 1976 pour porter leur choix sur ce «Guylain» venu de nulle part, sans même penser un seul instant aux conséquences désastreuses de leur acte. Étonnamment et bien que la curiosité fut souvent forte, il n’avait jamais osé demander le pourquoi de ce choix. Peur de mettre dans l’embarras peut-être. Peur aussi sûrement que la banalité de la réponse ne le laissât sur sa faim. Il se plaisait parfois à imaginer ce qu’aurait pu être sa vie s’il s’était prénommé Lucas, Xavier ou Hugo. Même un Ghislain aurait suffi à son bonheur. Ghislain Vignolles, un vrai nom dans lequel il aurait pu se construire, le corps et l’esprit bien à l’abri derrière quatre syllabes inoffensives. Au lieu de cela, il lui avait fallu traverser son enfance avec, accrochée à ses basques, la contrepèterie assassine : Vilain Guignol. En trente-six ans d’existence, il avait fini par apprendre à se faire oublier, à devenir invisible pour ne plus déclencher les rires et les railleries qui ne manquaient pas de fuser dès lors qu’on l’avait repéré. N’être ni beau, ni laid, ni gros, ni maigre. Juste une vague silhouette entraperçue en bordure du champ de vision. Se fondre dans le paysage jusqu’à se renier soi-même pour rester un ailleurs jamais visité. Pendant toutes ces années, Guylain Vignolles avait passé son temps à ne plus exister tout simplement, sauf ici, sur ce quai de gare sinistre qu’il foulait tous les matins de la semaine. Tous les jours à la même heure, il y attendait son RER, les deux pieds posés sur la ligne blanche qui délimitait la zone à ne pas franchir au risque de tomber sur la voie. Cette ligne insignifiante tracée sur le béton possédait l’étrange faculté de l’apaiser. Ici, les odeurs de charnier qui flottaient perpétuellement dans sa tête s’évaporaient comme par magie. Et pendant les quelques minutes qui le séparaient de l’arrivée de la rame, il la piétinait comme pour se fondre en elle, bien conscient qu’il ne s’agissait là que d’un sursis illusoire, que le seul moyen de fuir la barbarie qui l’attendait là-bas, derrière l’horizon, aurait été de quitter cette ligne sur laquelle il se dandinait bêtement d’un pied sur l’autre et de rentrer chez lui. (…)

Avis

Après un thriller bien noir et sanglant, rien de mieux que la lecture de ce livre. C’est un véritable rafraîchissement, sans violence, sans débauche d’actions. Ce conte moderne qui touchera tous le pendulaires du travail qui cherchent ces gens au léger grain de folie pour rompre leur monotonie pendant leur voyage.

Paradoxalement, alors que la construction ne relève en rien du turn-page, il est impossible de lâcher ce livre tant l’histoire de renouvelle au fur et à mesure des pages, les personnages sont attachants, le style précis avec des pointes d’humour.

Ce livre est un véritable succès : réimpression avec sa sortie, avancement de sa sortie, négociations pour son édition, droits vendus dans plus de 25 pays et pour ne adaptation visuelle. Bref le succès est mérité et récompensé.

Notation

Histoire
Ecriture
Durée de lecture
Prix

Caractéristiques :

  • Livre
    • Broché: 217 pages
    • Editeur : AU DIABLE VAUVERT (5 mai 2014)
    • Collection : LITT GENERALE
    • Langue : Français
    • ISBN-10: 2846268010
    • ISBN-13: 978-2846268011
    • Prix : 16,00€
  • Poche: 208 pages
    • Editeur : Folio (27 août 2015)
    • Collection : Folio
    • Langue : Français
    • ISBN-10: 2070461440
    • ISBN-13: 978-2070461448
    • Prix : 7,10€
  • eBook
    • Editeur : AU DIABLE VAUVERT (5 mai 2014)
    • Collection : LITT GENERALE
    • Langue : Français
    • EAN : 978-2846268592
    • Prix : 9,99€
  • Livre audio
    • Editeur : Gallimard (27 août 2015)
    • Collection : Ecouter libre
    • Langue : Français
    • EAN : 978-2070149346
    • Prix : 18,90€

Revue de presse

« Le Liseur du 6h27, un phénomène avant l’heure » – Joséphine Rouaud – Le Figaro

« L’histoire de Guylain, un amoureux des mots, est un vrai succès critique et public » – Estelle Schmidt – France Inter

« « Le liseur du 6h27 » : le bonheur est dans le RER avec Jean-Paul Didierlaurent » – Laurence Houot – France TV

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